Critique : Vagrant Story Original Soundtrack

Avant-dernière grosse production de Square pour la PlayStation (avant Final Fantasy IX), Vagrant Story doit son statut de jeu culte à plusieurs raisons : ses graphismes en 3D qui poussent la 32 bits de Sony dans ses derniers retranchements, son scénario et ses protagonistes matures, ses systèmes de jeu riches et complexes le rendant peu accessible et lui ayant donné la réputation et l’aura d’un jeu difficile, son chara-design sublime et, ce qui nous intéresse ici, sa bande-son d’exception. Au service d’une ambiance hors du commun, elle témoigne de la complicité et de la complémentarité totale entre le réalisateur du jeu Yasumi Matsuno et son compositeur Hitoshi Sakimoto.

Tirant pleinement parti de sa 3D intégrale pour offrir des cadrages léchés et des mouvements de caméra saisissants, Vagrant Story fait preuve d’une mise en scène très élégante et cinématographique. En conséquence, Sakimoto fait donc tendre encore plus son style vers la musique de film. Mais s’il avait au début du développement écrit des musiques orchestrales enjouées dans un style proche de celles de Final Fantasy Tactics, Matsuno lui a demandé des compositions plus sombres et ambiantes et lui a conseillé de s’inspirer du travail de Marc Snow pour la série X-Files. Au total, près de la moitié des pistes de l’OST sont des compositions « narratives » destinées à accompagner une cinématique ; il y a 12 ans, Vagrant Story était une de ces rares bandes-son qui se plaçaient au croisement de la musique de jeu et de la bande-son de film. « Graylands Incident Climax » est une bonne illustration de ce côté hybride : il s’agit de la musique de l’introduction du jeu, au cours de laquelle, sans aucune transition, le joueur prend le contrôle du héros Ashley Riot pour combattre plutôt que d’être simple spectateur. Passée une première moitié sombre et mystérieuse qui accompagne les événements qui se déroulent à l’écran, la piste se change progressivement en thème de combat tandis qu’Ashley se retrouve à devoir affronter un dragon : la rythmique des percussions et des cordes devient de plus en plus excitante, et débouche après une montée en intensité grisante sur une mélodie épique comme Sakimoto sait si bien les faire. Le combat terminé, une reprise euphorisante du thème principal achève de faire de cette piste une pièce maîtresse de la carrière du compositeur.

VS1Repris tout au long de la bande-son, ce thème principal est entendu dès la première piste « Opening Movie ». Il s’agit d’une mélodie typiquement à la Sakimoto, héroïque et malicieuse, qui reste dans la tête et qui se sifflote facilement. L’OST dans son intégralité se révèle être d’une grande richesse thématique, Sakimoto ayant écrit (à la manière d’une BO de film, encore une fois) plus d’une dizaine de thèmes qu’il fait varier de manière subtile, si bien que des nouvelles occurrences de certains motifs ne se révèlent aux oreilles qu’au bout de plusieurs écoutes attentives. Parmi les autres thèmes marquants, celui d’Ashley est un motif déterminé apparaissant pour la première fois au début de « VKP Headquarters ~ Inside Duke Bardorba’s Manor », et qui s’impose en force à la toute fin de cette même piste. Pour mettre en musique Sydney Losstarot, le principal antagoniste du jeu, Sakimoto mixe un sample de chœurs de manière difficilement descriptible, pour un résultat totalement fou et perturbant qui évoque la proximité du personnage avec les Ténèbres. Le thème de son petit frère Joshua est quant à lui une mélodie pure dont se dégage quelque chose de tragique, parmi les plus belles du compositeur. Pour conclure ce bref tour d’horizon des principaux thèmes (il y en a encore plusieurs autres !), citons également celui d’un autre antagoniste, Guildenstern, une mélodie menaçante qui apparaît dans « Knights of the Cross » et qui devient de plus en plus imposante au fil du jeu et de l’OST, jusqu’à être soutenue par des chœurs terrifiants dans « Last Strength ». Sakimoto fait d’ailleurs se rencontrer les thèmes de Sydney et Guildenstern de manière troublante dans la piste « A Meeting ».

VS2Mais la force de la musique de Vagrant Story n’est pas due uniquement à son fort contenu thématique et à son écriture sophistiquée, elle doit aussi beaucoup aux sonorités et instruments utilisés par Sakimoto pour plonger le joueur au cœur de la cité maudite de Léa Monde. Au premier abord, on pourrait se dire qu’il est dommage que ces compositions orchestrales ne soient pas réellement orchestrées, mais les sonorités synthétiques froides utilisées (notamment les chœurs) rendent fascinante l’atmosphère qui s’en dégage. « Catacombs », la musique du premier lieu du jeu, est une suite sans réelle mélodie de longues notes jouées par des cordes synthétiques angoissantes qui fait immédiatement comprendre au joueur qu’il n’est pas là pour rigoler ; la plupart des musiques de lieux ont ainsi quelque chose d’inquiétant. Même la musique des forges (« Factory »), qui sont les seuls havres de paix de la ville, devient plus oppressante après un début pourtant chaleureux et réconfortant, rappelant au joueur le danger et l’inconnu qui l’attendent à l’extérieur. « Great Cathedral », la musique du dernier donjon, est étrangement une des rares exceptions : composition éléctro entrainante qui rappelle certains travaux de Sakimoto pour des shoot ’em up, elle encourage à un ultime effort pour arriver à la conclusion du jeu.

VS3Sakimoto fait également la part belle aux percussions. Durant l’exploration, elles sont sourdes, parfois métalliques, comme pour évoquer un grondement lointain venu des profondeurs de Léa Monde, jusqu’à parfois devenir suffocantes comme dans « Abandoned Mines Level 1 ». Durant les combats contre les (nombreux) boss, ces percussions deviennent tribales et furieuses : il s’agit là de combats à mort, contre « Golem » ou encore « Tieger and Neesa ». Tous les thèmes de combats font bien monter l’adrénaline, qu’ils soient des concentrés de stress (« Dark Element » !) ou bien des morceaux de bravoure. « Ifrit », avec sa rythmique martiale, ses cuivres héroïques, ses cordes envolées et sa harpe virevoltante, s’impose comme l’une des musiques les plus épiques du jeu. Pour finir, si la place manque pour se pencher sur toutes les merveilles présentes sur ces deux disques, il est tout de même indispensable de parler de l’un des chefs d’œuvre de Sakimoto : la musique du « Staff Roll », qui bénéficie d’une véritable orchestration et qui conclut cette OST par plus de 7 minutes d’extase, reprenant dans sa deuxième moitié le thème principal de manière triomphante et grandiose pour l’inscrire définitivement dans les mémoires. On préférera d’ailleurs arrêter l’écoute après cette piste, tant les deux « remix » bonus à la fin de l’album sont médiocres en plus de n’avoir rien à y faire.

La musique de Vagrant Story est donc à l’image du jeu : ténébreuse, complexe, incroyablement profonde et passionnante, une bande-son dans laquelle on peut encore découvrir des choses même lorsque l’on croit la connaître par cœur. Sakimoto déclare que c’est le travail dont il est le plus fier. Il peut l’être.

Olivier

Avis : Excellent

Coups de cœur :

  • Graylands Incident Climax
  • Undercity
  • Ifrit
  • Staff Roll