Interview : Michiru Ôshima

Son nom n’est peut-être pas le plus connu mais son CV a de quoi impressionner : la compositrice Michiru Ôshima a en effet œuvré dans tous les arts visuels, du cinéma à l’animation en passant par le jeu vidéo et les séries télé. Elle a ainsi écrit les musiques de plusieurs Godzilla et de films lui ayant valu des nominations aux Japanese Academy Awards, de séries reconnues telles que Fullmetal Alchemist ou The Tatami Galaxy, du drama Gokusen pour ne citer que lui, et d’un jeu vidéo admiré par de nombreux fans, le célèbre ICO ! C’est précisément pour mettre en avant cette carrière prolifique que Wayô Records, label à qui l’on doit déjà la venue de Masashi Hamauzu en France en mai 2011, a organisé le concert Melodies in the Mist qui s’est tenu le 29 janvier au théâtre Adyar à Paris.

L’équipe de Musica Ludi a pu rencontrer Mme Ôshima en décembre lors d’un de ses fréquents passages à Paris afin de revenir sur ses différents travaux et sur son métier de compositrice.

Commençons directement par une question sur le métier de compositeur. Comment faites-vous pour composer le thème principal d’une œuvre ?

C’est différent pour les animés et le cinéma. Dans le cas d’un film, le réalisateur doit absolument donner son accord pour que la musique soit acceptée, même si le compositeur pense qu’il a fait quelque chose qui convient. En ce qui concerne l’animation, c’est le compositeur qui décide de faire de tel ou tel morceau le thème principal.

On peut dire que vous êtes plus libre, en général, pour l’animation ?

On peut dire cela, en effet.

Techniquement, quels outils utilisez-vous pour composer ?

J’utilise un ordinateur et le logiciel Finale. Depuis quinze ans, je n’utilise plus le papier mais uniquement l’ordinateur, avec un synthétiseur.

Quels sont selon vous les avantages et les désavantages du métier de compositeur ?

L’un des grands avantages est de pouvoir entendre les impressions des fans ! Par exemple, l’un d’entre eux m’a dit qu’il écoutait la musique de Planet of Life chaque jour dans le train en révisant ses examens, d’autres que ma musique les aidait à aller mieux quand ils se sentaient mal, etc. Ce genre de retours me rend heureuse.

Pour ce qui est des désavantages, il y a le fait de travailler à la maison. Je n’ai jamais l’esprit tranquille tant qu’un projet n’est pas terminé, il y a toujours cette pression du délai et il est difficile de faire autre chose que de la musique quand son lieu de travail et le même que son lieu de vie.

Quand je suis à Paris, j’aime l’hiver car il fait froid et que j’ai plus tendance à rester chez moi. Mais aux mois de mai ou juin, on peut avoir la tentation de sortir pour profiter du beau temps et c’est moins facile de travailler !

Votre musique change en fonction de la saison ?

En fait, je dirais qu’elle change vraiment en fonction du jour où je l’écris.

Cela vous arrive-t-il de changer d’avis sur la direction d’un morceau du jour au lendemain ?

Il m’arrive de réécrire des morceaux le lendemain de leur écriture mais je ne vais pas jusqu’à colorer ma musique avec des émotions passagères.

Gardez-vous les pistes que vous abandonnez pour d’autres projets ou les jetez-vous ?

Je dois souvent composer plusieurs musiques de démonstration pour des compositeurs et lorsque ça ne leur plaît pas, elles ne deviennent rien. Ça ne veut pas dire que je supprime ces données, qui sont sur un support papier ou numérique, mais que je ne les réutiliserai pas.

La compositrice lors d’un enregistrement

Nous parlions des saisons, mais le fait d’être en France ou au Japon change-t-il votre façon de composer ?

Oui, ça change du tout au tout. Quand je suis à Tokyo, je travaille chez moi, à mon bureau. En revanche, quand je suis à Paris, j’ai plus tendance à me promener dans les rues et à recevoir de l’inspiration comme ça. La raison pour laquelle ça se passe comme ça, c’est qu’à Tokyo, il y a du bruit partout, dans la rue, dans le train, dans les cafés… La ville est saturée de musique. À l’inverse, à Paris, on a moins cette impression d’être écrasé par la musique et ça permet d’avoir une meilleure inspiration.

Cela vous arrive régulièrement d’enregistrer de la musique à Paris, aussi. Quelle en est la raison ?

Il y a une différence importante de son que je ne saurais expliquer. Peut-être que le voltage y est pour quelque chose [NDLR : 110V au Japon]. J’ai l’impression que le son est moins consistant à Tokyo. Il y a aussi une différence au niveau des musiciens. Au Japon, ils sont très stricts, avec une technique virtuose. En France, ils donnent plus de place à l’émotion.

Quelle est la caractéristique du son en Russie, où vous avez enregistré pour Fullmetal Alchemist ?

Le son des orchestres russes est bien plus lourd, plus dense. En plus de Fullmetal Alchemist, j’ai aussi enregistré en Russie pour les films Godzilla. Je pense que les musiciens russes sont excellents pour exprimer une force un peu « militaire ».

Michiru Oshima au travail sur la partition de FMA

Michiru Oshima au travail sur la partition de Fullmetal Alchemist

Vous voyagez très souvent pour votre travail. Composez-vous dans l’avion ?

Avant, je composais dans l’avion, dans le train, dans le bus… Mais plus aujourd’hui. À l’époque, j’écrivais au crayon sur du papier à musique et c’était plus simple. Aujourd’hui tout est passé à l’informatique.

Il vous est arrivé de composer 1500 musiques en une seule année, c’était donc ça !

À cette époque, j’étais obligée d’avoir un planning extrêmement précis pour respecter les dates. Je décidais à l’avance des horaires des pauses. Par exemple, je m’accordais dix minutes de pause, trente minutes pour le repas, puis je me remettais au travail. C’est typiquement japonais, n’est-ce pas (rires).

Comment caractériseriez votre musique ?

C’est difficile à dire. Quand j’ai commencé, on me disait souvent qu’elle donnait de l’énergie ou le sourire, un peu à l’image de la musique de Gokusen [NDLR : comédie très populaire de 2004 sur le thème de l’éducation à des élèves difficiles].

Vous utilisez régulièrement des instruments comme le luth, le ukulélé ou le bouzouki. Pourquoi les aimez-vous particulièrement ?

À l’époque où je composé pour Le continent du vent, j’aimais beaucoup les instruments folkloriques et mon idée était de les mélanger aux instruments modernes. J’ai gardé contact avec des personnes qui jouent très bien de ces instruments, je continue donc naturellement à les utiliser au fil des projets.

Par exemple monsieur Watanabe, qui joue sur ICO !

Oui, il est très bien [en français dans le texte]. Il joue aussi dans Le continent du vent, dans la chanson Sha-lion, etc.

Jaquette de la bande son d'ICO


Fumito Ueda dit au sujet d’ICO qu’il a voulu faire un jeu qui n’en soit pas un. Vous a-t-il donné des recommandations dans ce sens pour la musique ?

Lui et le producteur, monsieur Kaidô, m’ont surtout demandé de faire un thème principal qui ressemble à Sha-lion. Ils m’ont montré un pilote qui m’a permis de comprendre l’univers du jeu. Ce qui est amusant avec l’équipe d’ICO, c’est que quand nous avions une réunion, ils venaient toujours à quatre ou cinq et donnaient chacun leur avis tour à tour, quoi qu’il arrive.

Pour Tatami Galaxy et ICO, les créateurs étaient calmes et il n’y avait pas de discussions houleuses.

En parlant de créateur, y en a-t-il avec qui vous rêvez de travailler ?

C’est difficile à dire, ils [ceux avec qui j’ai travaillé] étaient tous intéressants (elle réfléchit). Ah oui, je rêve de composer pour un Gundam !

Pouvez-vous nous parler de votre expérience sur le jeu Legaia ?

Quand j’ai fourni mes premières pistes au directeur du jeu, il m’a dit que ça n’allait pas, il voulait des morceaux beaucoup plus dynamiques, plus puissants. J’avais tout composé au synthétiseur et j’ai dû tout refaire, en ajoutant des couches à chaque fois, au point d’avoir mal à la tête. À cette période, je travaillais très tard le soir et j’utilisais donc un casque pour ne pas déranger mes voisins. C’était épuisant et je finissais par avoir très mal aux oreilles.

Au final, le jeu a eu beaucoup de succès, notamment aux Etats-Unis, je suis donc contente d’avoir pu y participer, mais ça reste une expérience éprouvante !

Un mot sur les arrangements du concert du 29 janvier ?

Comme les musiciens sont issus du monde classique, on va surtout rester dans cet univers, mais je veux également donner un côté joyeux à certains morceaux, en m’éloignant un peu de leur version originale.

Pour terminer, pouvez-vous nous dire quels créateurs français vous aimez ?

Il y en a beaucoup ! Pour ce qui est de la musique, je dirais Maurice Ravel. Autrement, j’aime beaucoup Jean Cocteau qui avait une vision en tant qu’homme très particulière. Il était touche-à-tout, il dessinait, écrivait, etc.

Un concert entièrement consacré à l’œuvre de Michiru Oshima a été donné au théâtre Adyar à Paris le 29 janvier 2012. Au programme : musique de jeu vidéo, musique pour la télévision et pour le cinéma.

Site officiel de Michiru Ôshima [jp]

Interview réalisée en collaboration avec le site Wakanim. Voir aussi notre compte-rendu du concert.