Interview : Jonne Valtonen et Roger Wanamo

Jaquette de Symphonic OdysseysCela fait déjà plusieurs années que la série de concerts Symphonic de Cologne nous émerveille. Il faut dire que le producteur allemand Thomas Böcker, dans son honorable démarche pour rendre la musique de jeu vidéo plus prestigieuse et exigeante, a trouvé des associés plus que remarquables. Le premier d’entre eux est Jonne Valtonen, compositeur et orchestrateur finlandais à qui l’on doit les arrangements impressionnants de Symphonic Shades puis Fantasies, sans oublier bien sûr l’immense poème symphonique Zelda de Symphonic Legends. Valtonen à rapidement été rejoint par son collègue et compatriote Roger Wanamo à l’occasion de la suite Chrono de Fantasies, et c’est ensemble qu’ils ont confectionné Symphonic Odysseys, fantastique hommage à la carrière de Nobuo Uematsu dont vous pouvez lire le compte-rendu de Musica Ludi sur cette page.

Le disque du concert a été publié fin décembre par Dog Ear Records, le label de Uematsu, et c’est à cette occasion que nous vous proposons une interview avec Jonne Valtonen et Roger Wanamo, l’occasion de revenir sur la manière dont ils ont imaginé l’événement.

Interview réalisée par Denys et Jérémie le 9 juillet 2011, à quelques heures de la première représentation de Symphonic Odysseys. Un grand merci à Thomas Böcker pour avoir arrangé la rencontre.

Jérémie : Comment avez-vous choisi les morceaux joués lors du concert ? Vous aviez encore des DVD remplis de MP3, comme à Fantasies ?

Valtonen : Je me suis surtout servi de YouTube, en fait. Mais je dois dire que je n’ai pas tellement eu à faire de travail préparatoire, j’ai laissé Thomas [Böcker] décider. Il m’a envoyé plein de morceaux d’époque qu’il aime bien lui-même. Mais j’ai aussi beaucoup écouté les bandes originales.

Denys : Vous connaissiez les bandes originales avant ?

Valtonen : J’ai regardé les jeux sur YouTube assez souvent, alors je sais comment la musique est utilisée. Mais j’ai quand même commencé à écouter les bandes originales.

Wanamo : Thomas m’a envoyé les morceaux des bandes originales, alors je les ai beaucoup écoutés. D’ailleurs, j’ai aussi joué à certains Final Fantasy. En fait, ce que je voulais faire, c’était apporter des musiques qui n’avaient jamais été jouées par un orchestre jusque-là. C’était vraiment mon objectif. Uematsu a composé tellement de belles musiques que je ne vois pas pourquoi nous devrions arranger continuellement les mêmes titres. C’est à nous de proposer aux gens de nouvelles reprises orchestrales. Sinon, je me suis basé sur l’importance des musiques dans les jeux et sur la popularité qu’elles ont auprès des fans. J’ai essayé d’établir un équilibre entre les pistes célèbres et d’autres, moins connues.

Valtonen : On a fait des recherches.

Denys : D’ailleurs, M. Wanamo, il y a deux ans vous aviez fait l’arrangement des Chrono avec Valtonen. Un commentaire ?

Wanamo : C’était très amusant. J’ai vraiment adoré travailler sur des musiques aussi belles. En plus, c’était la première fois que je travaillais avec l’orchestre du WDR. Je n’ai pas assisté aux répétitions alors j’ai découvert le morceau lors du vrai concert. J’étais impressionné. C’était vraiment une super expérience.

Denys : Et l’année dernière, vous avez encore arrangé pour Nintendo.

Wanamo : Oui. Chrono était ma première étape à Cologne et elle a été bien reçue. C’était un vrai bonheur.

Jérémie : Pour Odysseys, est-ce que Nobuo Uematsu avait des demandes particulières ?

Valtonen : Nous étions totalement libres. En fait, Nobuo nous a même dit qu’il voulait être surpris, alors nous lui avons préparé une petite surprise. Il y en a même deux. J’espère qu’elles passeront bien, elles sont assez amusantes.

Wanamo : Uematsu a assisté à la répétition générale hier. Quand il est arrivé, il n’en savait pas plus que ce qui avait été publié sur Internet. Il a appris le contenu du concert au même rythme que les fans.

Jérémie : Alors il a vu les surprises hier.

Wanamo : Oui, tout a été joué.

Denys : Quelle a été sa réaction ?

Valtonen : Je ne l’ai pas vue. Il est allé s’asseoir plus haut, alors que nous sommes restés en bas pour pouvoir communiquer avec les chœurs et l’orchestre. Mais bon, il nous a payé le restaurant, alors je pense qu’il devait être content. (rires)

Wanamo : Oui, je crois qu’on peut l’interpréter comme ça. (rires)


Au premier plan, Roger Wanamo et Jonne Valtonen

Denys : Comment avez-vous fait pour créer des arrangements différents des autres concerts de la musique de Uematsu ?

Valtonen : Bien sûr, nous ne sommes pas Distant Worlds, alors nous avons essayé de créer un concert qui ait l’air différent.

Wanamo : Pour la plupart des autres concerts de musique de jeu vidéo, l’objectif est de jouer simplement des pistes de jeu vidéo en concert. Nous, notre but est de créer des morceaux de concert à partir de pistes de jeu vidéo. La différence est subtile, mais elle est bien là.

Valtonen : Nous avons aussi beaucoup réfléchi au déroulement du concert. Nous avons longuement discuté avec Thomas du programme, pour considérer le concert comme un tout qui s’écoule naturellement. C’est assez difficile et ça affecte aussi les arrangements car, quand il y a des choses très rapides, nous devons réfléchir à ajouter des parties plus lentes, pour vous donner le temps de respirer. C’est ce que j’ai cherché à faire avec « Waterside », par exemple. Je l’avais déjà arrangée pour le CD de Benyamin Nuss, mais cette fois-ci, elle est très différente de ce qu’on entend normalement… J’en suis vraiment très fier.

Denys : Sur le CD, la mélodie était difficile à retrouver.

Valtonen : Oui, mais elle était bien là. (Il chante la mélodie)

Denys : Il m’a quand même fallu du temps pour la reconnaître. (rires)

Valtonen : Au moins, vous l’avez retrouvée.

Wanamo : Moi, ma plus grande contribution est le concerto pour piano.

Denys : Vous l’avez arrangé seul ?

Wanamo : Oui. En fait, je voulais faire un vrai concerto pour piano. Il y avait déjà eu la suite de Kingdom Hearts, avec Benyamin, mais ce n’était pas vraiment un concerto pour piano, c’était juste une pièce orchestrale avec beaucoup de piano. Cette fois-ci, je voulais vraiment mettre en avant Benyamin. Bien sûr, c’était très exigeant en termes d’arrangements. Je ne pouvais pas faire « TA TA TA ! » en permanence avec les cuivres, sinon le piano aurait été inaudible. En plus, pour le piano, certaines textures sont plus en accord avec les cordes. Disons que j’ai repris les mélodies de Uematsu pour en faire un concerto pour piano, afin qu’elles aient l’air différentes, mais tout en conservant l’esprit des originales.

Denys : Donc, vos deux fiertés sont « Waterside » et le concerto.

Wanamo : Voilà.

Valtonen : Oui, enfin nous sommes fiers de tout quand même. Mais voilà, il arrive que pour des raisons un peu magiques, il y ait des morceaux qui sortent du lot. Ce ne seront peut-être pas vos préférés, mais ils nous ont donnés le sentiment d’avoir réussi à exprimer ce que nous voulions.

Wanamo : Le concerto pour piano compte trois mouvements et j’aime beaucoup le deuxième. L’adagio cantabile, le plus lent des trois.

Denys : Quand vous avez écrit ce concerto, de quels autres concertos pour piano vous êtes-vous inspirés ?

Wanamo : Depuis Legends, où il y avait F-Zero qui était aussi au piano et à l’orchestre, j’ai une énorme pile de partitions de concertos pour piano. Mais comme je vous ai dit, je voulais vraiment donner la priorité au piano et éviter l’écueil de le laisser jouer en fond alors que c’est l’orchestre qu’on entend le plus. J’ai étudié plein de concertos pour piano… Surtout du début du XXe siècle : Rachmaninov, Prokofiev, Gershwin, Ravel…

Denys : Et Saint-Saëns ? Quand Ravel a écrit son concerto pour piano, il a beaucoup étudié les siens.

Wanamo : Ah, oui. J’avais aussi les partitions du 5e concerto pour piano de Saint-Saëns.


Le pianiste Benyamin Nuss

Jérémie : Pensez-vous que votre technique d’arrangements a évolué depuis ceux de Shades ou Fantasies ?

Valtonen : Bien sûr, certaines choses deviennent plus faciles à faire, mais en même temps, on devient aussi plus exigeant avec soi-même et on place la barre toujours plus haut. Travailler avec un orchestre donne également une expérience qu’on ne peut pas apprendre dans un livre. Je veux dire, on peut apprendre l’orchestration sur des partitions, mais quand on écrit quelque chose et quand on l’entend jouer, on comprend vraiment mieux comment fonctionne un orchestre. On retient comment ils jouent chaque chose et ça permet de s’améliorer. En fait, avec cette série Symphonic, nous avons essayé différentes approches. Avec Shades, nous avions un style de musique hollywoodien traditionnel. Ensuite, avec Fantasies, nous avons complètement changé les textures tout en gardant les mélodies afin de mieux les révéler. Enfin, avec Legends, nous avons cherché à développer les thèmes pour donner l’impression au public qu’ils s’appliquent à différentes situations.

Wanamo : C’est un peu comme la musique classique. Vous avez une mélodie, puis vous la développez et vous la dirigez vers autre chose.

Valtonen : C’était plutôt audacieux, il faut l’avouer, parce qu’on s’est vraiment éloigné des musiques originales.

Wanamo : Et ça demande plus de concentration de la part du public.

Valtonen : Oui, il faut garder les yeux et les oreilles grands ouverts.

Denys : Comme avec l’arrangement de Zelda.

Jérémie : Le poème symphonique de Zelda était vraiment exigeant. La première fois qu’on l’écoute, c’est comme un énorme bloc de musique. Ensuite, quand on le réécoute, on apprécie de plus en plus les détails. Comme vous le dites, c’était audacieux.

Valtonen : Mais je pense qu’il faut être audacieux, parce que c’est amusant de brouiller les pistes. Si on se contente de tout le temps éviter les dangers, on ne fait jamais rien d’intéressant dans la vie. Des fois, il vaut mieux se mouiller un peu plutôt que de dire : « c’est pas mal ». En fait, je préfère que quelqu’un me dise « je déteste » ou « j’adore » plutôt que « c’est pas mal ». C’est peut-être la pire chose qu’on puisse me dire.

Wanamo : Et puis si on fait toujours ce que les autres veulent entendre, alors on n’écrit que des choses qui ont déjà été entendues. Ils veulent entendre des choses dont ils connaissent la qualité, pas des choses qu’ils ne connaissent pas… parce qu’elles n’existent pas encore. C’est pour ça que, dans le choix des pistes, j’ai voulu trouver des choses qu’ils allaient aimer mais qu’ils ne connaissaient pas encore.

Jérémie : C’est un peu ce que vous aviez fait avec le medley Final Fantasy à Fantasies. Vous avez utilisé des bouts que les gens voulaient entendre. En gros : vous voulez « One-Winged Angel » ? Alors la voilà… quelques secondes. Maintenant, on passe à autre chose.

Valtonen : C’est formidable parce que le public a déjà des attentes avec lesquelles on peut jouer, des choses qu’on peut leur faire comprendre uniquement par la musique. C’est d’autant plus formidable qu’aujourd’hui, par exemple dans la musique moderne, il n’y a plus vraiment de tonalité et de repères comme le mode mineur, plutôt triste, et le mode majeur, plutôt joyeux.

Jérémie : C’est exactement ce que vous nous aviez dit lors de notre première interview. Vous êtes cohérent. (rires)

Denys : En général, combien de temps vous faut-il pour écrire ces arrangements ?

Wanamo : Ça dépend de la date limite. Pour moi, en tout cas, ça prend toujours exactement le temps qu’il faut.

Valtonen : Pour moi aussi.

Wanamo : Quand je commence à travailler sur quelque chose, si je sais que j’ai quatre semaines devant moi, je consacre les trois premières semaines à essayer des choses en me disant toujours que je trouverai quelque chose de meilleur plus tard. Et ensuite, quand j’ai passé trois semaines à chercher des idées et quand il ne reste qu’une semaine, je me dis qu’il est temps de choisir une de ces idées et de la concrétiser. Pour le concerto pour piano, il m’a fallu environ un mois.

Denys : La dernière fois, il vous a fallu 2 mois pour Fantasies, c’est ça ?

Valtonen : Deux ou trois mois, oui, je crois. Mais on commence toujours à y réfléchir avant. Dès que j’entends parler du projet, je commence à y réfléchir. Je passe plein de choses en revue dans ma tête et je réfléchis à la façon de les présenter. Par exemple, je pense que j’ai eu une idée vraiment géniale avec « Waterside ». En fait, elle est vraiment impressionniste. C’est comme si l’orchestre était une vague qui balayait l’accompagnement, puis le faisait revenir. On a l’impression que la mélodie flotte au-dessus de l’accompagnement. C’est très visuel. Le résultat me rend vraiment très enthousiaste. Au départ, je ne voulais pas faire « Waterside » car je l’avais déjà arrangée, alors je voulais trouver une nouvelle idée. Il m’a fallu environ une semaine pour cela et, quand je l’ai trouvée, je me suis mis au travail. C’est ce qui m’a pris le plus de temps. Il m’a fallu trois semaines pour une musique de quatre minutes, parce qu’il y a vraiment plein de détails. L’écriture m’a vraiment demandé beaucoup de travail manuel. Mais comme Roger l’a dit, j’aime réfléchir pour que l’idée soit bien claire dans ma tête, pour savoir en quoi consistera le morceau.

Wanamo : Moi aussi bien sûr, j’ai écrit le concerto pour piano en un mois mais nous avions commencé à en parler avec Thomas au moins six mois plus tôt. J’ai commencé à écouter les bandes originales, à réfléchir aux morceaux et à ceux qui fonctionnent bien ensemble. Je fais simplement en sorte de les écouter pour garder les mélodies en tête. Comme ça, pendant des mois, je peux y réfléchir pendant que je marche dans la rue, par exemple. C’est vraiment un travail continuel, qui peut continuer sans interruption. C’est grâce à ça que j’ai pu tout écrire en un mois. S’il avait fallu tout commencer de zéro, du style « tiens, fais ça, tu as un mois », ça aurait été beaucoup plus difficile.

Denys : L’écriture ne prend pas tant que ça de temps.

Valtonen : Si on a une idée bien claire en tête, l’écriture est assez rapide en effet. C’est trouver cette idée qui demande du temps.

Wanamo : C’est comme quand on écrit un livre. L’écrire demande du temps, bien sûr, mais sûrement pas autant que se demander ce qu’on veut écrire. C’est la même chose ici. Même quand on tient une idée, pendant l’écriture on doit quand même penser aux détails. On devient de plus en plus rapide à chaque fois.

Valtonen : Et puis on se laisse emporter par l’excitation. D’abord on se dit « je veux faire ça », et puis finalement on se dit « je DOIS faire ça ». Et on se met au travail. C’est comme ça que je fonctionne. La chose amusante avec les compositeurs et les arrangeurs, c’est que ce n’est pas un travail à raison de 8 heures par jour. Quand je réfléchis à un morceau, c’est en permanence. Quand je mange, quand je fais la vaisselle… même quand je parle à ma petite amie. Elle déteste ça.

Wanamo : La mienne aussi. (rires)

Valtonen : On en vient même à voir des partitions partout. Quand je dis que j’écris quelque chose pendant un mois, c’est vraiment du 24 heures sur 24.

Wanamo : Quand on passe 8 heures sur son ordinateur, on réfléchit en permanence à la mélodie. Mais quand on se lève de son ordinateur… il n’y a pas de bouton « off ». On continue à y penser.

Denys : Des fois, on se réveille en pleine nuit…

Valtonen : …et on sait qu’on doit faire quelque chose.

Denys : Il y a de quoi devenir fou. (rires)

Valtonen : En fait, il paraît que quand on se lance dans un nouveau projet, le métabolisme du cerveau ressemble à celui de quelqu’un qui est malade. Il est complètement sens dessus dessous. La chimie du cerveau devient totalement folle quand on réfléchit à tout ce qu’on doit faire. Ça peut expliquer pourquoi certains compositeurs ne tournaient pas rond. (rires)

Jérémie : Ça vous est arrivé ? De vous réveiller en pleine nuit avec une nouvelle idée ?

Valtonen : Oui. Mais quand je me réveille le matin et que je regarde ce que j’ai noté, je me dis que c’est totalement nul. (rires)

Denys : Vous avez pu dormir, au moins ?

Valtonen : Non. Mais je me suis rattrapé. (rires) Mais réfléchir sans arrêt pendant 12 heures, c’est comme courir un marathon. Sauf qu’on ne brûle aucune calorie.

Photos : page Facebook Spielemusikkonzerte et Musica Ludi.