Critique : Pokémon Sun & Moon: Super Complete Collection

Sorti il y a peu, Pokémon Lune et Soleil a laissé un petit arrière-goût de déception à ceux qui attendaient monts et merveilles d’un gameplay renouvelé, d’un nouvel univers et d’un scénario approfondi. Les îles d’Alola promettaient pourtant un paradis exotique et alléchant, au moins sur le plan de la direction artistique et particulièrement musicale. Les moyens étaient d’ailleurs aussi grands que d’habitude, puisque pas moins de sept personnes ont travaillé à la composition (plus encore sur les arrangements). Des efforts supplémentaires semblent même avoir été fournis par rapport aux autres épisodes, puisqu’on peut noter la présence, hélas mal créditée dans la bande-son officielle, de plusieurs instrumentistes venus égayer de leurs timbres colorés l’orchestre virtuel un brin tristounet de la 3DS. Les auspices semblaient donc nous promettre un voyage musical riche et surprenant comme il a déjà pu l’être dans les précédents épisodes. Et pourtant, difficile de dire que ce fut vraiment le cas.

Si les anciennes générations de Pokémon s’organisaient autour de références musicales variées mais néanmoins cohérentes, on peine à retrouver cette impression sur cet épisode. En effet, une chose fondamentale semble avoir changé depuis l’arrivée de la série sur 3DS : la façon de concevoir les sonorités. Les récentes générations de consoles permettent des instruments virtuels de plus en plus proches des instruments réels, et la série semble s’engager sur cette voie visant l’orchestral plutôt que d’investir au mieux des capacités sonores limitées pour les tourner à son avantage. Si les anciens supports mêlaient joyeusement la pop, le jazz, le rock et bien d’autres, on y trouvait toujours un fil conducteur dans la façon de faire sonner efficacement ces emprunts avec des sonorités peu réalistes. Tel son de clavier, telle basse particulièrement mémorables et vibrants, quand ce n’est pas le saxophone à peine identifiable et pourtant charmant des versions Diamant/Perle/Platine, on pouvait sentir un soucis du timbre derrière chaque note et une indéniable harmonie transformant les sons les plus kitsches en patchworks fascinants.

Dans la famille « environnements », je demande « la forêt »…

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Mais ici, malgré la présence de vétérans de la série tels que Minako Adachi, Hitomi Sato, Go Ichinose ainsi que l’éternel Junichi Masuda (on regrette néanmoins l’absence de Shôta Kageyama), la magie ne prend pas et l’uniformisation des timbres rend certains contrastes difficiles à comprendre. Si quelques morceaux comme la très bonne « Ten Carat Hill » par Hitomi Sato, l’auto-exotique « Malie » ou la version de nuit un peu trop caricaturale de « KoniKoni » d’Ichinose rappellent les fantaisies des anciens épisodes, on peine à trouver des sons vraiment intéressants sur l’ensemble des pistes, qui laissent une impression de manque, si ce n’est de déjà-vu. Le soucis n’est pas tant dans les orchestrations, qui sont tout à fait correctes, mais plutôt dans leur manque total d’originalité. Les thèmes des routes ont par exemple tendance à se ressembler, que ce soit par leurs cuivres et leurs flûtes criants « en route vers l’aventure ! » de façon un peu trop insistante, ou leurs accompagnements manquant de relief aux même titre que l’exploration de ces îles pourtant très montagneuses… Bien qu’ils soient différents, on peine à s’en souvenir, et il en va de même avec les lieux qu’ils symbolisent.

De la même manière, beaucoup d’environnements sont orchestrés de façon trop stéréotypée et font souvent preuve d’une carence mélodique flagrante qui les fait paraître soit ennuyeux et répétitifs, soit trop courts pour avoir l’occasion de se développer (voire les deux en même temps). Ainsi, « Lake of the Sunne/Altar of the Moone » est si évocateur d’un « endroit important », avec son chœur de cuivres et ses percussions dramatiques, qu’on peine à savoir s’il s’agit d’une référence voulue à la ligue des premiers épisodes ou d’une orchestration bateau réalisée pour un « lieu phare quelconque ». Une critique similaire peut se faire vis-à-vis de « The Summit of Mount Lanakila » : entre le bourdon, les harmonies de cors épiques et les touches scintillantes de célesta pour symboliser la neige, pas grand chose ne sort de l’ordinaire dans ce morceau. Idem pour le thème « The Pokémon League », où le mélange d’un effectif orchestral et de sons manipulés fait beaucoup trop penser à la ligue de Kalos. De même, l’ambiance dans « Ultra Space » rappelle le Monde Distorsion, mais sans la même prise de risque.

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Que l’on ne s’y méprenne pas : ce n’est pas tant le fait que des références soient utilisées qui est critiqué ici, mais plutôt la difficulté qu’elles ont à trouver leur place au sein de la cohérence musicale plus générale du jeu, et de l’équilibre entre clichés et surprises auxquels on était habitués jusqu’ici. À titre de contre-exemple, la musique du combat de défense pour le titre de champion, « The Battle at the Summit! », si elle reprend allègrement le thème emblématique de la série et les orchestrations de l’écran titre, est pour autant loin d’être décevante, car sa progression amène des développements suffisamment intéressants pour nous surprendre, nous exalter (et nous donner envie d’en entendre une vraie version orchestrale). En dehors de cet exemple, et pour rester sur les combats, de façon frustrante, beaucoup de thèmes ont une introduction très prometteuse et tombent ensuite à l’eau. Les musiques de combat contre « Solgaleo/Lunala » et le « Conseil des Quatre » peinent par exemple à développer leurs quelques éléments mélodiques, qui rappellent fortement d’anciennes composition de Masuda (la formule s’essoufflerait-elle ?). D’autres comme celui des « Gardiens Tapu », présentent des rythmiques percussives assez riches, mais pas assez de développement pour les étoffer et les rendre intéressantes.

Hawaï ? Ha non…

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On aurait pu penser que l’argument de l’inspiration hawaïenne ferait office de liant. Hélas, force est de constater que les références, ne vont pas vraiment plus loin que la première île : après un unique thème décliné à la guitare et au ukulélé dans « Ikki Town », façon Marching Band sur la « Route 1 » puis de manière jazzy dans « Hau’oli City », les compositeurs retournent très vite dans le giron orchestral qui avait été développé pour X/Y (avec raison à l’époque, ce dernier s’inspirant du patrimoine français). Seules quelques références au style jawaiian (proche du reggae) s’entendent dans certains thèmes de combat (comme « Hau (Battle!) »), de lieux et de personnages qui interviennent peu, ainsi que par l’utilisation ponctuelle d’une slide guitar jouée avec un bottleneck, dans la musique du « Pokémon Center » par exemple, ou d’autres lieux bien plus anecdotiques. On regrette que ces références n’aient pas pris plus d’importance, car elles offraient des occasions d’expérimentations sur un genre encore peu exploré dans la série. Au contraire, en dehors de ces petites excursions, le reste de la bande-son reste trop sagement dans la logique orchestrale suivie dans les deux précédents épisodes sur 3DS, et qui donnent facilement une impression de mollesse à cause de ses timbres.

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Une dernière nouveauté plus présente qu’avant à noter tout de même : l’usage de la voix enregistrée et de quelques instruments. On saluera le travail de compositeur, arrangeur (avec Tomoaki Oda) et d’interprète de Hideaki Kuroda, qui s’était jusqu’ici cantonné au rôle de sound designer, en dehors de quelques lignes de basse, de guitare et d’accordéon sur X/Y et Saphir Alpha/Rubis Oméga. Ici, il nous fait profiter sur quelques pistes de ses talent de multi-instrumentiste à travers des instruments aussi originaux que le bouzouki irlandais et la vielle à roue. On compte également le percussionniste Kanoko Matsukawa sur une seule piste, Takahiro Morimoto au ukulélé et à la guitare, ainsi que quatre personnes sur les chœurs de type tribal et enfin la voix du chanteur KYOtaro servant à identifier les introductions et combats contre la Team Skull. Ce nombre record d’instrumentistes qui témoigne des efforts fournis par rapport à la musique est pourtant, au même titre que les autres qualités du jeu, trop anecdotique. Les aspects intéressants de la bande-son de Pokémon Lune et Soleil sont éclipsés par les autres carences du titre et l’absence de ce « grain de folie » qui faisait le piment musical des anciens épisodes, pour laisser planer un sentiment de fadeur et d’ennui. On n’en gardera malheureusement pas un souvenir impérissable.

Fanny

Coups de cœur

  • Ten Carat Hill
  • Seafolk Village (Night)
  • Vast Pony Canyon
  • Champion Title Defense

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